La loi Chériff est une violation du droit !

Cour  de justice de la CEDEAO


Le 7 avril 2015, le Conseil national de la transition (CNT) votait la loi n° 005-2015 portant modification de la loi n°014-2001/AN du 03 juillet 2001 portant code électoral. Cette loi dite ‘’Chériff’’’ a fait couler beaucoup d’encre et de salive en raison d’une clause dite ‘’exclusive’’ qui devait empêcher les anciens caciques du régime Compaoré de prendre part aux prochaines élections, si elle venait effectivement à être appliquée.
En rappel la loi stipulait en sus de l’article 135 que « toutes les personnes ayant soutenu un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, notamment au principe de la limitation du nombre de mandats présidentiels ayant conduit à une insurrection ou à toute autre forme de soulèvement » étaient frappées d’inéligibilité. L’amendement a d’abord été attaqué par les militants du CDP et les partis de l’ex-majorité devant le conseil constitutionnel. Pour un vice de forme, les requérants ont été déboutés. N’ayant plus de voie de recours au plan national, les intéressés se sont tournés vers une juridiction communautaire qu’est la cour de Justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).
La requête est portée d’une part, par un groupe de partis (CDP, NAFA, UBN ...) à travers leurs présidents respectifs et, d’autre part, par des individus en leur propre nom. Parmi ces derniers, on peut citer Koné Léonce, Tapsoba Achille Marie Joseph, Sampebre Eugène Bruno, Sawadogo Moussa, Nignan Frédéric Daniel, Sankara Sidnoma. La saisine avait pour objectif de faire constater par la cour, la violation de leurs droits par les nouvelles autorités et, en conséquence, d’ordonner l’abrogation de la disposition litigieuse. Pour l’État Burkinbè, la cour est incompétente pour connaître de l’affaire, la requête introduite est irrecevable, parce que mal fondée. Depuis donc le 21 mai 2015, date du dépôt de la plainte, les regards étaient tournés vers Abudja où le tribunal devait siéger. Finalement le verdict est tombé hier lundi dans la matinée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la décision est plutôt en faveur de l’ancienne majorité. En effet, la cour, statuant publiquement, contradictoirement en matière de violations de droits de l’homme, en premier et dernier ressort, estime que les requérants ont raison.
L’État débouté aussi bien dans la forme que dans le fond
Sur la forme, la Cour dit qu’elle est bel et bien « compétente pour examiner la requête qui lui est soumise » et donc « rejette les exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité soulevées par l’État du Burkina ». La cour motive sa décision par le fait qu’ « elle peut être valablement saisie lorsqu’il apparaît que le processus électoral est entaché de violations de droits de l’homme, violations dont la sanction relève de sa compétence».
Sur le fond, « la cour est d’avis que l’exclusion en cause dans la présente affaire n’est ni légale ni nécessaire à la stabilisation de l’ordre démocratique, contrairement aux allégations du défendeur. La restriction opérée par le code électoral n’a au demeurant pas pour seul effet d’empêcher les requérants de se porter candidats, elle limite également de façon importante le choix offert au corps électoral, et altère donc le caractère compétitif de l’élection». La cour ajoute que « la thèse avancée par l’État défendeur, suivant laquelle la mesure litigieuse ne serait pas discriminatoire eu égard au fait que des acteurs de la transition eux-mêmes seraient concernés par cette restriction du droit de participer aux élections, ne saurait évidemment être acceptée. Il va de soi, en effet, que les raisons de la restriction ne sont pas les mêmes pour les uns et pour les autres ». Dans leur cas précis, estime la cour, la restriction revêt un caractère quelque peu stigmatisant, infâmant, qui n’existe évidemment pas pour les acteurs de la transition. « La défense de l’État du Burkina Faso, sur ce point, ne peut donc être acceptée ».
Pour l’ensemble de ces raisons, et sans qu’il soit besoin de statuer sur le caractère « consensuel » ou non du changement de la loi électorale intervenu avant les élections, la cour estime que les formations politiques et les citoyens burkinabè qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale (loi n° 005-2015/CNT portant modification de la loi n° 014-2001/AN du 03 juillet 2001) doivent être rétablis dans leur droit. Elle précise en outre que les instruments internationaux invoqués au soutien de la requête lient bien l’État du Burkina Faso. Finalement, la Cour  déclare «  que le code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ». Elle « ordonne en conséquence à l’État du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification ».
A  présent que la décision de la cour est tombée, va-t-on assister à une relecture de la loi ? Les autorités vont-elles faire fi de cette décision d’un organe communautaire ?

Idrissa Yabré  in DNF

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